Le 15 février 2023
Théâtre de l’Aquarium
Dans le cadre de BRUIT - Festival théâtre et musique
Avec le Théâtre de la Ville
Baùbo
De l’art de n’être pas mort
À partir de fragments des œuvres de Buxtehude, Musil, Schütz et d’autres matériaux
Mise en scène : Jeanne Candel
Direction musical : Pierre-Antoine Badaroux
Scénographie : Lisa Navarro
Costumes : Pauline Kieffer
De et avec : Pierre-Antoine Badaroux, Félice Bazelaire, Prune Bécheau, Jeanne Candel, Richard Comte, Pauline Huruguen, Pauline Leroy, Hortense Monsaingeon et Thibault Perriard
Qui est Baùbo ? « Baubô est un personnage qui intervient dans les mystères d’Éleusis consacrés à Déméter : elle fait rire Déméter, déesse de la fécondité, qui sous le coup de la douleur, après la disparition de Perséphone, se comportait comme une femme stérile : pendant neuf jours et neuf nuits, elle cesse de boire, de manger, de se baigner et de se parer. C’est en relevant ses jupes et en lui montrant son ventre sur lequel était dessinée une figure (on a cru reconnaître celle d’Iacchos, enfant de Déméter, divinité incertaine identifiée parfois à Dionysos) que Baubô fit rire Déméter » (Sarah Kofman, « Baubô. Perversion théologique et fétichisme », Nietzsche et la scène philosophique, Paris, Galilée, 1979).
Devant le rideau noir d’avant-scène, deux personnages sont assis : la scène évoque l’atmosphère d’une salle de conférence. La femme commence à parler dans une langue étrangère, l’homme, à côté d’elle, traduit en français. On est concentré sur l’histoire qu’elle raconte. En même temps, on essaie de reconnaître la langue – inutilement, c’est une langue inventée née dans une chambre d’hôtel entre deux amoureux. En cherchant les mots qui décriraient leur sentiment d’amour, elle parle de « chair mystique », de « baise mystique », afin de trouver celui qui convient le mieux : c’était un sentiment « pré-religieux ». C’est une histoire d’amour qui à la fin fera souffrir. Il est parti et maintenant elle « est en enfer ».
La musique commence. Les deux personnages quittent le plateau et à leur place apparaît une femme en robe noire avec tulle à volants plissé. Elle débute une autre histoire d’amour, celle de tambour de soie, une légendaire histoire du théâtre Nô, qui parle d’un vieux homme qui veut séduire une jeune femme. La condition pour qu’elle soit à lui est que le tambour en soie sonne. C’est le rideau noir qui devient la soie du tambour que la femme sur scène essaie de faire sonner. À la fin de l’histoire, elle enlève le rideau et le fait tomber. C’est le moment qui ouvre la scène suivante.
Une chambre en blanc, un lit sur lequel une femme est allongée, une petite table à roulette qui fait penser à celles dans les hôpitaux. Après avoir reçu un colis, elle se réveille et on comprend qu’elle est en train de préparer son suicide. Il s’agit de la même femme qui nous a raconté son histoire dans la scène d’exposition. Elle déballe la boite et prend une arbalète de chasse sous-marine. C’est à ce moment-là que la femme en robe noire – qui pendant tout ce temps était assise sur une chaise en train de la surveiller – ouvre la porte et fait entrer un orchestre. C’est un ensemble de musicien.nes habillé.es de la même façon – les robes noires avec tulle à volants plissé – qui participent, avec le chant et la musique, à ce suicide rituel qui évoque celui de jigai pratiqué par les femmes, les épouses des samouraïs. Toute la scène est néanmoins traversée par les effets comiques. D’ailleurs, tout le spectacle joue sur le comique. Au lieu de voir sa mort, on voit une transfiguration du mythe de Baùbo.
Le spectacle est devisé en deux parties. La deuxième partie s’annonce par une sorte d’entracte pendant lequel un personnage féminin résume par un geste la suite du spectacle. Presque tous les personnages sont privés de psychologie. On voit les personnages-symboles, les musiciens, les chanteurs, les "fantômes" du passé dont la présence persiste. On pourrait dire que le personnage principal est celui qui illustre ce qui est mort mais ce qui refuse de mourir : comme la passion d’un amour perdu, comme le son transformé en notes de musique.
Caractérisée par une esthétique impressionnante des scènes, de la scénographie, des costumes, et de la musique, la deuxième partie nous parle de l’origine du monde. Elle évoque le tableau de nu féminin réalisé par Gustave Courbet, la symbolique de l’oeuf cosmique, Gaïa la Terre, la pomme d’Eve.
Le spectacle est conçu comme une mosaïque de citations et de collages. À la manière de grands romans postmodernes, il est né pour questionner les contraintes de notre monde déployé toujours en deux directions : vers le passé et vers le futur.
Aida Copra
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