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Photo du rédacteurAida Copra

« Danser à l’envers » : La vie est une fête

Dernière mise à jour : 25 sept.

Le 20 septembre 2024
Théâtre des Bouffes du Nord

LA VIE ESTUNE FÊTE
Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse
Collaboration artistique : Amélie Philippe

Avec : Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Ivandros Serodios, Fred Tousch
Décors et construction : François Gauthier-Lafaye
Régie générale et plateau : Nicolas Guellier
Création et régie lumière : Stéphane Lebaleur
Création et régie son : Pierre Routin
Costumes et régie costumes : Sophie Rossignol
Machiniste : Anouck Dubuisson
Chorégraphie : Jérémy Braitbart
Directeur de production : Antoine Blesson
Administrateur de production : Jason Abajo
Chargée de production : Marianne Mouzet
Chargé de figuration : Quentin Rigouin
Production : Les Chiens de Navarre

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Le spectacle commence avant même que le rideau ne se lève. Dès l’entrée en salle, les bruits familiers des spectateurs qui s’installent se mêlent à des fragments de discours de politiciens issus de partis opposés. Cette subtile fusion brise la frontière entre la scène et le public, entre la réalité et la fiction, transformant la salle en une véritable assemblée parlementaire.

Sur scène, le décor est simple : un rideau rouge, deux microphones et un podium. Les acteurs prennent le public à partie, l’invitant à participer au débat, notamment autour de la question de la retraite. En utilisant l’humour et la satire pour aborder des sujets d’actualité, le spectacle devient une véritable prise de parole collective où chacun est invité à réfléchir et à réagir.

Les acteurs, en parfaite symbiose avec leur texte, interpellent le public et brisent le quatrième mur. Ils ne se contentent pas de jouer ; ils provoquent et défient les spectateurs à prendre la parole, à se confronter à leurs propres contradictions et opinions politiques, posant des questions directes : « Qui est de droite parmi vous ? ». Cette première scène, que l’on pourrait appeler « Parapolitique », comme l’un des personnages évoque, transforme chaque spectateur en député malgré lui. La scène se termine dans le chaos : une bagarre éclate et des papiers s’envolent…

Le rideau se lève, révélant une scénographie qui, bien que parfaitement conçue, semble mise en second plan par le jeu magnifique des acteurs, qui devient de plus en plus impressionnant au fil du spectacle. Dans ce nouvel espace, nous découvrons le personnage qui incarne la droite, attaché dans un hôpital psychiatrique. Son discours s’accélère, frôlant la folie, jusqu’à ce qu’il soit brutalement interrompu et 'tué' par un autre patient, nu et sauvage, dont les mouvements évoquent l’animalité et la perte de contrôle. Ce personnage revient dans presque toutes les scènes pour pousser à l’extrême l’idée de l’homme qui désobéit aux désirs de la société.

L’espace scénique est divisé en deux par une vitre qui permet aux scènes de se superposer, laissant entrevoir à la fois l’action principale et les coulisses. Le lieu de l’action oscille entre l’enfermement de l’hôpital et les échos de la réalité extérieure. Cette juxtaposition souligne la frontière floue entre la raison et la déraison, entre l’institution psychiatrique et une société elle-même en crise. À travers ce dispositif, défilent les grandes questions qui obsèdent la société : le système du travail, les enjeux écologiques, la question du genre, le rôle de la femme selon son image traditionnelle. Ce dernier sujet est traité de manière particulièrement absurde lors d’un examen gynécologique surréaliste. Une autre scène évoque l’apparence physique des femmes, marquée par les opérations chirurgicales et le désir d’avoir l’air plus jeune et plus ‘beau', devenant aussi une métaphore de différentes contradictions de notre société.

La question se pose : est-ce la société qui nous rend délirants, ou est-ce l’homme qui rend lui-même la société délirante ? Cela se manifeste dans les scènes qui alternent entre la réalité extérieure et celle de l’hôpital. Les transitions sont si fluides qu’on se demande si tout ce que nous voyons n’est pas une fête imaginaire dans l’esprit des patients, où les délires se mêlent à la dureté du quotidien. Ce jeu de superpositions met en lumière l’absurdité des normes sociales et des attentes, laissant le public réfléchir sur la fine ligne entre le rationnel et la folie.

Le nouveau patient devient le directeur d’une société qui propose une nouvelle vision du monde du travail. Devenu fou, il se présente comme le personnage du Joker, affirmant que sa plus grande capacité est d’analyser la réalité. Ce personnage incarne l’idée même de la pièce et illustre la capacité de celle-ci à représenter notre monde à travers la folie, car, comme le dit le metteur en scène Jean-Christophe Meurisse, « il n’y a rien de plus humain que la folie ».

A la fin, la pièce peut être résumée par les mots d’Antonin Artaud : « L’homme est malade parce qu’il est mal construit [...] Il n’y a rien de plus inutile qu’un organe. Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes, alors vous l’aurez libéré de ses automatismes et rendu à sa véritable liberté. Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers, comme dans le délire des bals musette, et cet envers sera son véritable endroit. »

Le spectacle invite chacun à se libérer des contraintes sociales qui dictent nos gestes et pensées, pour enfin embrasser une liberté authentique ; il nous invite à danser à l’envers pour mieux célébrer la vie.

Aida Copra


© Philippe Lebruman

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