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Photo du rédacteurAida Copra

Dessiner le passé, tracer l’avenir : Yinka Esi Graves

Dernière mise à jour : 11 août

Le 20 juillet
Cour du lycée Saint-Joseph

The Disappearing Act.
Yinka Esi Graves
Royaume-Uni - Espagne / Création 2023

Avec Yinka Esi Graves et Raúl Cantizano (guitare), Remi Graves (batterie), Rosa de Algeciras (chant) 
Conception, mise en scène et chorégraphie Yinka Esi Graves 
Musique Raúl Cantizano 
Lumière Carmen Mori
Son Javier Mora
Vidéo Miguel Ángel Rosales 
Costumes Stéphanie Coudert 
Régie son  Enrique Gonzalez 
Régie lumière Carmen Mori 
Production María González Vidal (Trans-Forma Producción Cultural) 
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On commence par la fin... La dernière partie du spectacle était tout simplement à couper le souffle. Si l'on n'est pas familier avec le travail de Yinka Esi Graves, il est difficile de prévoir ce qui nous attend. Mais ce à quoi nous avons assisté relève d'une pure virtuosité. Au-delà de la maîtrise technique incontestable de la danseuse, son travail illustre à merveille la manière dont l'art dialogue avec le passé, offrant une approche novatrice à cette forme traditionnelle qu'est le flamenco. Graves nous plonge dans les racines historiques de cette danse, nous permettant non seulement de mieux les comprendre, mais aussi de les apprécier sous un nouveau jour.

La tradition renouvelée ne signifie jamais que la tradition a perdu sa forme originelle. Au contraire, c'est une tradition retrouvée, enrichie, qui s'offre à nous sous un nouveau regard, nous aidant ainsi à mieux l'appréhender et à en tirer une nouvelle richesse. Renouveler une tradition et lui apporter une perspective inédite, c'est avant tout la comprendre dans toute sa profondeur. Yinka Esi Graves l’a parfaitement démontré en réinterprétant le flamenco non seulement comme une danse, mais comme un héritage vivant.

C’est précisément ce que l’on ressent en regardant la performance extraordinaire de Yinka Esi Graves. Les experts en flamenco pourraient sans doute offrir une analyse plus élaborée, mais même ceux qui n’en connaissent que les bases sont transportés dans un univers où cette forme d’art se réinvente et se renouvelle. Ce spectacle nous fait aimer le flamenco encore davantage, nous emmenant au-delà de ses frontières traditionnelles. On y perçoit l’influence indéniable de la tradition espagnole, mais aussi un univers complètement nouveau, où le corps devient un outil d’expression capable de raconter ce que les mots peinent à traduire.

L'espace scénique est presque totalement dépouillé : seuls deux musiciens – l’un à la batterie, l’autre à la guitare – et une chanteuse de flamenco occupent la scène, tous vêtus de noir. Pourtant, une couleur semble dominer l’atmosphère : un rose vif, presque insolent. Yinka Esi Graves ne porte pas la robe traditionnelle du flamenco, mais une sorte de costume d’homme de corrida, dans ce même rose éclatant. L’unique objet scénique est un étrange lustre, suspendu au centre de la scène, dont la lumière diffuse évoque déjà le caractère magique de la performance à venir.

La musique, elle aussi, est en parfaite adéquation avec l’esprit d’innovation qui imprègne la danse. Elle se tisse harmonieusement avec l’idée centrale du spectacle : explorer les racines profondes du flamenco tout en mettant en lumière l'influence des populations afrodescendantes dans le sud de l’Espagne. En se concentrant sur ces racines souvent méconnues, la musique transcende le simple accompagnement pour devenir un élément essentiel du récit, renforçant ainsi la puissance évocatrice de chaque mouvement de Yinka Esi Graves. Ce dialogue entre la musique et la danse crée une alchimie qui révèle l’héritage multiculturel du flamenco, tout en le réinventant sous un jour résolument contemporain.

Yinka Esi Graves, née à Londres d'une famille ghanéenne et jamaïcaine, a été profondément marquée par son arrivée en Andalousie pour étudier le flamenco. Ce spectacle est sa tentative de donner corps à cette expérience, de rendre visibles les traces culturelles que le temps a laissées en nous, et de faire ressurgir des histoires oubliées. Sur scène, elle fusionne des influences espagnoles, anglaises, ghanéennes… Ces influences se mêlent pour créer une performance où le flamenco devient un langage universel, capable de raconter des histoires qui transcendent les frontières et le temps.

Elle évoque aussi Mademoiselle LaLa, artiste de cirque afrodescendante immortalisée par Degas au XIXᵉ siècle. Cette œuvre de Degas représente un moment historique important dans la peinture du XIXᵉ siècle, car les corps noirs y sont rarement représentés. Mais elle peut également refléter un désir plus profond d’exprimer l’invisible, comme le dit Yinka Esi Graves : « faire l’expérience du corps invisible ». Alors que les tableaux de Degas nous fascinent par la perfection de chaque mouvement figé, la performance de Graves nous présente un tableau en mouvement qui cache une invisibilité similaire. Ce qui reste caché, c'est le processus créatif derrière le corps en mouvement, la pensée qui l’éveille, et l'influence que le corps subit durant sa création.

Ses mouvements sont d'une précision extrême, exécutés avec une perfection remarquable. Au cours du spectacle, après un moment de préparation où l’on voit Yinka Esi Graves se maquiller pour la deuxième partie, elle prend un crayon et dessine une trajectoire sur le plateau. Elle marque des traces…

Elle trace les mouvements du flamenco, dessine les contours de ses propres racines et laisse ses propres traces. Cette action révèle l’influence des traditions qui ont façonné notre chemin. Parallèlement, elle ouvre de nouvelles voies, permettant à chacun de s’appuyer sur les empreintes laissées par les précédents tout en forgeant son propre itinéraire….

Aida Copra


© Christophe Raynaud de Lage

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