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Photo du rédacteurAida Copra

Une autre Bérénice

Dernière mise à jour : 6 juil.

Le 23 mars 2024
Théâtre de la Ville

BÉRÉNICE
Romeo Castellucci, Isabelle Huppert • Création

Conception & mise en scène : Romeo CastellucciLibrement inspiré par Bérénice de Jean Racine
Son & musique : Scott GibbonsCostumes : Iris Van HerpenAssistant à la mise en scène : Silvano VoltolinaConception maquillage et coiffure : Sylvie Cailler, Jocelyne MilazzoSculptures de scène et automations : Plastikart Studio Amoroso & Zimmermann
Avec : Isabelle Huppertet Cheikh Kébé & Giovanni Manzo
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Je débute ma critique en évoquant les réactions du public face à ce spectacle qui a suscité un vif intérêt chez chacun. Il m'est rarement arrivé d'être aussi étonnée ou surprise par des réactions aussi franches, et, je dirais, aussi osées. Dans un sens étrange, je considère cet aspect comme extrêmement positif du spectacle. Au théâtre, à mon avis, ce qu'il y a de pire, ce que je ne souhaite jamais, c'est laisser le public indifférent. Parfois, c’est mieux entendre : « on ne t’entend pas » ou « c'était nul »... Car ce spectacle restera  certainement gravé dans les mémoires et dans l'histoire du théâtre. C'est là la première raison pour laquelle je suis heureuse d’avoir assisté à cette représentation.

Ce spectacle réunit deux des plus grands noms du théâtre contemporain : Romeo Castellucci et Isabelle Huppert. Déjà, à la simple vue de leurs noms sur l’affiche, associés au titre d'une des plus grandes tragédies de Racine, Bérénice, l'envie de voir la représentation devient irrépressible. Nous sommes habitués aux mises en scène extrêmes et innovantes de Romeo Castellucci, ainsi qu'au talent inébranlable d'Isabelle Huppert, ce qui décuple nos attentes. Pourtant, malgré cela, la critique et le public, dans leur ensemble, ne semblaient pas favorables.

Dès que le rideau se lève, un voile subtil se dévoile, qui tout au long du spectacle servira comme un filtre, ne nous offrant jamais une transparence totale et nous invitant ainsi à contempler la scène comme à travers une brume délicate. L'entrée en scène est majestueusement marquée par la présence d'Isabelle Huppert dans le rôle de Bérénice, reine de Judée.

Pour ceux qui connaissent les spectacles de Castellucci, la finesse accordée aux sons est une évidence. Le son devient alors un instrument puissant, non seulement pour créer une atmosphère singulière, mais aussi pour s'immiscer dans l'histoire, parfois même influant sur notre perception du temps qui s’écoule. Dès les premiers mots de Bérénice, un « automate » en métal, représentant la figure d'un chat, se met à émettre des battements forts, évoquant en moi, de manière inexplicable, le tic-tac caractéristique de la planète Miller dans le film Interstellar. Peut-être est-ce parce que ces battements évoquent une sensation de temporalité fugace, laissant derrière elle de nombreux événements ou annonçant une fin déjà advenue. La voix de Bérénice elle-même subit des variations sonores particulières.

Un autre symbole subtil de la temporalité fugace se dévoile dès les premiers instants, à travers le texte qui se dessine sur le rideau. Il dévoile les éléments chimiques qui composent le corps humain, révélant ainsi sa complexité et sa délicate fragilité exposée aux assauts du temps. Ces premiers indices tracent déjà les contours du destin tragique de Bérénice.

Le sens de l'espace est une autre caractéristique imposante des spectacles de Castellucci, et ici, sa puissance s'affirme pleinement. Bien que l'espace soit presque vide, agrémenté seulement de quelques objets minimaux – un radiateur, une machine à laver d'où s'échappe un tissu semblant faire partie de la robe de Bérénice, un miroir – c'est le « vide » qui semble remplir la scène pour la majeure partie du spectacle. Les objets eux-mêmes enrichissent l'atmosphère de significations symboliques souvent énigmatiques, caractéristiques des productions de Castellucci.

Les autres personnages émergent soit derrière un second rideau transparent, en toile de fond de la scène, évoquant les figures du Sénat, soit dans les scènes de match de basket entre Titus et Antiochus, où leurs gestes précis semblent presque chorégraphiés. En contraste, le jeu de Bérénice se distingue par une liberté d'expression presque infinie.
Il est remarquable de constater à quel point la présence d'Isabelle Huppert semble captiver notre mémoire, au point d'occulter toutes les autres scènes impliquant les autres personnages. On peut se demander si l'imposante présence d'Isabelle Huppert ne joue pas un rôle non seulement dans notre appréciation du spectacle, mais aussi dans notre difficulté à l'oublier.

De mon point de vue, j'ai découvert en Bérénice une interprétation singulière, dépeignant une femme confrontée à choix impossibles, une représentation qui résonne profondément avec notre époque. En effet, c'est là toute la splendeur des tragédies anciennes : elles parviennent à nous parler à travers une richesse de formes, de langages et d’images.

Aida Copra   


© Courtesy Alex Majoli

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