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Stivalaccio Teatro au Théâtre Hébertot

Dernière mise à jour : 3 avr.

Le 26 mars 2024
Théâtre Hébertot

ARLECCHINO MUTO PER SPAVENTO / ARLEQUIN MUET PAR CRAINTE
Avec : Sara Allevi, Marie Coutance, Matteo Cremon, Anna De Franceschi, Michele Mori, Stefano Rota, Pierdomenico Simone, Maria Luisa Zaltron, Marco Zoppello
Scénario original et mise en scène : Marco Zoppello
Scénographie : Alberto Nonnato`
Costumes : Licia Lucchese
Création lumière : Matteo Pozzobon et Paolo Pollo Rodighiero
Masques : Stefano Perocco di Meduna
Duels : Massimiliano Cutrera
Conseil musical : Ilaria Fantin
Maquillage et coiffure : Carolina Cubria
Assistante à la mise en scène : Francesca Botti
Assistante création masques : Tullia Dalle Carbonare
Costumes réalisés par Francesca Parisi, Sonia Marianni et Caterina Volpato avec une attention particulière à la réutilisation de tissus et de matériaux à faible impact environnemental
Décors réalisés dans l'Atelier du Stivalaccio Teato par Roberto Maria Macchi et Matteo Pozzobon, Photos et vidéos : Serena Pea
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La Commedia dell’Arte voyage depuis longtemps, traversant non seulement les lieux, mais aussi les époques. Pour moi, elle symbolise toujours le voyage, tant extérieur qu'intérieur, entre réalité et imagination. La troupe italienne Stivalaccio Teatro a entrepris son voyage jusqu'à Paris pour deux raisons : d'abord, pour présenter leur magnifique spectacle : Arlequin muet par crainte… Ce voyage fut trop court, avec une seule représentation le 26 mars au Théâtre Hébertot. Cependant, pour tous ceux qui ont eu la chance d'assister au spectacle, ce voyage reste toujours gravé dans notre mémoire ; les images persistent et les rires continuent de résonner…

Si l’on devait donner une définition simple de la Commedia dell’Arte, on pourrait dire que c’est une tradition théâtrale qui a marqué la scène européenne du XVᵉ au XVIIIᵉ siècle. Aujourd'hui, elle est caractérisée comme un théâtre improvisé et gestuel, où le texte est réduit, et dont la composante la plus importante réside dans les masques associés aux types fixes. Pourtant, l’image historiographique de la Commedia dell’Arte dépasse cette simple description. D’une part, parce qu’il s’agit d’une période de l’histoire du théâtre trop riche pour être réduite à une image uniforme, et d’autre part, parce que nos perceptions évoluent, notamment avec l'évolution de la manière de produire et de recevoir le théâtre, ce qui nous offre de nouvelles interprétations.

Assister au spectacle de Stivalaccio Teatro ne se résume pas à comprendre dans quelle mesure il évoque l'image de la Commedia dell’Arte telle qu'elle existait dans le passé. C'est plutôt une occasion de se faire une idée de la Commedia dell’Arte en tant que l'une des plus grandes inspirations du théâtre dans la pratique scénique contemporaine. Pour Stivalaccio Teatro, la Commedia dell’Arte représente bien plus qu'une simple définition : elle incarne l'idée essentielle d'un théâtre universel qui parle à tous.

Stivalaccio Teatro, compagnie italienne fondée en 2013 par Michele Mori, Marco Zoppello, Sara Allevi et Anna De Franceschi, a fait le choix de baser ses créations sur la Commedia dell’Arte afin d’exprimer une vision très précise du théâtre. Cette vision aspire à créer un espace où le théâtre transcende les barrières linguistiques, culturelles et géographiques, un espace où le théâtre devient synonyme de communauté, où la parole se métamorphose en corps et où le corps devient le narrateur.   

Arlequin muet par crainte de Luigi Riccoboni, l’un des canevas les plus joués dans le Paris du début du XVIIIᵉ siècle, est présenté par Stivalaccio Teatro pour la première fois à l’époque contemporaine. Marco Zoppello, metteur en scène et acteur principal interprétant Arlequin, souligne que ce choix audacieux incarne la volonté de créer un « théâtre d'art pour tous » : un mélange subtil de jeu d'acteur, de danse, de musique, de combats scéniques, de lazzi et d'improvisation, dans le but de captiver notre attention et de nous arracher des rires. Et le résultat de ce choix, précisément, a accompli l'une des tâches les plus difficiles lorsqu'il s'agit de réinventer une tradition : une harmonieuse rencontre entre le passé et le présent…

Le spectacle commence avec le chant, instaurant d'emblée une atmosphère joyeuse dès l'apparition des premiers personnages. On remarque immédiatement la simplicité de la scénographie : des murs bleutés délimitent l'espace scénique, prêts à se transformer pour suivre le déroulement de l’action.

L'histoire est simple, typique des canevas de la Commedia dell’Arte : un jeune nommé Lelio quitte Venise pour Milan, désirant obtenir justice. Il est éperdument amoureux de Flaminia, la fille de Pantalone De’ Bisognosi, qui partage ses sentiments. Cependant, le père de Flaminia l'a déjà promise à Mario, le fils de Stramonia Lanternani, une riche marchande d'étoffes, bien que Mario soit épris de Silvia, une jeune femme déterminée. L'arrivée de Lelio à Milan a pour but de ramener Mario et sa mère Stramonia à la raison, ou de provoquer le jeune homme en duel. Bien que cette nouvelle aurait dû rester secrète, Arlequin, le serviteur de Lelio, ne peut s'empêcher de la divulguer à chaque personne qu’il rencontre. C’est pourquoi, par une ruse, son maître le contraint au silence, le rendant muet à tout jamais.

Le fait de rendre Arlequin muet révèle immédiatement la focalisation de son jeu : sans parole, il doit tout exprimer à travers son corps. Bien qu'Arlequin soit le seul personnage privé de parole, la pièce entière est conçue de manière à ce qu'un simple geste puisse raconter une histoire entière. Marco Zoppello met en avant cette spécificité, mais toute la troupe démontre l'importance du geste et de la pantomime, accordant ainsi au corps une fonction primordiale dans la création du spectacle. Un autre aspect fascinant du jeu d'Arlequin réside dans sa capacité à utiliser le grammelot, un langage d'onomatopées où gestes, rythmes et sonorités se mêlent pour transmettre un discours complet. Malgré l'absence de mots articulés, Arlequin parvient à communiquer avec nous, offrant ainsi une performance théâtrale aussi captivante qu'accessible.

La polyvalence remarquable de tous les acteurs se manifeste à travers leur jeu, rappelant le talent des célèbres comédiens dell’Arte. On peut également souligner l'exceptionnel talent d'Anna De Franceschi dans le rôle de Stramonia Lanternani. Traditionnellement, les  personnages féminins de la Commedia dell’Arte ne portent pas de masques, mais dans cette réinterprétation, Stramonia semble presque incarner un autre personnage emblématique : celui du Dottore, ajoutant ainsi une nouvelle dimension à son jeu. De même, le fils de Stramonia, Mario Lanternani, interprété par Michele Mori, bien qu'il ne porte pas de masque, semble presque lui aussi un personnage masqué. Son jeu dynamique et singulier donne une telle intensité à son personnage que tout son corps semble se métamorphoser. D’ailleurs, la présence de tous les personnages est remarquable, témoignant d'une énergie et d'une dynamique qui s'intensifient au fil du spectacle. Les éclats de rire des spectateurs deviennent de plus en plus forts, capturant ainsi l'impact envoûtant de la performance et l'interaction vivante entre les acteurs et leur public.

Tel Arlequin, nous restons muets face à la possibilité de décrire tous les éléments de ce spectacle : la musique, le chant, le jeu d'acteurs, les masques, l’acrobatie... Tout cela est expédié par un seul instrument qui rend la beauté de cet art, ce qui est le théâtre : le corps et ses gestes. C’est là l’essence même, non seulement de la Commedia dell’Arte, mais du théâtre en général. Lorsqu'une compagnie parvient à nous transmettre « cette idée » du théâtre, nous ne pouvons rester indifférents.

Le jour précédant la représentation du spectacle Arlequin muet par crainte de Stivalaccio Teatro, nous avons également entrepris un autre voyage, dans l’espace et à travers le temps. Pour saisir le lien entre les comédiens italiens et Paris, il faut « aller dans les coulisses » et porter un regard de l’autre côté de la scène afin de dévoiler une histoire pleine de contradictions et de mystères que nous sommes avides d’éclaircir pour ensuite créer une image de ce qu’était « cette » Commedia dell’arte et de ce qu’elle est aujourd’hui.
C’est grâce à la rencontre-table ronde intitulée « L’Apothéose d'Arlequin : Dans les coulisses de la Commedia dell’Arte », tenue à Sorbonne Université, que nous avons eu l’occasion de plonger dans les méandres de l'histoire du théâtre. En présence des éminents historiens du théâtre Emanuele De Luca et Andrea Fabiano, nous avons exploré les pages de L'APOTHÉOSE D’ARLEQUIN. La Comédie-Italienne de Paris : un théâtre de l’expérimentation dramatique au XVIIIᵉ siècle, afin de mieux comprendre l'influence de la Commedia dell'Arte sur la scène parisienne. Nous avons également eu le privilège d'entendre le témoignage du talentueux facteur de masques Stefano Perocco, nous éclairant sur l'art et la symbolique des masques. Enfin, nous avons pu plonger dans le processus de création du spectacle en compagnie du dramaturge, metteur en scène et comédien Marco Zoppello. Ce fut un honneur de modérer cette table ronde, une expérience enrichissante qui a permis d'approfondir notre appréciation de la Commedia dell'Arte et de son héritage théâtral.


Aida Copra   


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