Le 30 mai
La Nouvelle Seine
Le mardi à Monoprix
Auteur : Emmanuel Darley
Avec : Thierry de Pina | Production : Compagnie Ah le Zèbre !
C’est en 2007 que Thierry de Pina, épidémiologiste, découvre sa passion pour le théâtre lorsque Yolande Moreau l’invite à monter sur les planches du Théâtre National du Rond-Point dans son spectacle Sale affaire du sexe et du crime. À partir de ce moment-là, il entame sa formation de comédien à Nice et à Paris, qu’il poursuit pendant plusieurs années, avant de fonder en 2015 sa propre société de production de spectacle vivant connue aujourd’hui sous le nom de Compagnie Ah le Zèbre !.
La compagnie compte cinq créations à son répertoire, dont deux pièces écrites par Emmanuel Darley : Qui va là ? (2020*) et Le mardi à Monoprix (2023*), toutes les deux conçues pour un seul en scène.
Qui va là ?, présentée pour la première fois en juin 2020, a déjà connu un vif succès. Cette pièce raconte l’histoire d’un SDF. Dans le rôle d’Alexandre Cabari, un homme sans domicile fixe ni repères qui nous livre ses souvenirs, Thierry de Pina parvient, à travers son jeu, à répondre aux enjeux majeurs d’un tel sujet : provoquer chez le spectateur une expérience de transgression indispensable pour que le public demande et questionne le monde extérieur. L’histoire est constamment interrompue par de petites questions qui visent à « réveiller » le public, à le bouleverser et à l’immerger dans un monde où habiter n’est qu’un mot. « Parler aux gens, c’est ce que je cherche », dit-il.
Le spectacle Le mardi à Monoprix commence par une affirmation qui place au cœur de l’histoire le rapport entre le regard du personnage et le regard de l’autre : « Tout le monde me regarde ». En effet, le monde intérieur du personnage émerge par l’extérieur, par les yeux de qui le regarde : en commençant par son père et en se manifestant ensuite dans tout son environnement.
C’est l’histoire de Marie-Pierre, autrefois Jean-Pierre, qui vient s’occuper de son père veuf dans le quartier où elle a grandi. Elle passe la journée avec lui, s’occupant du ménage et du repassage. Ils échangent quelques mots, sur tout et sur rien. Lorsque le personnage apparaît sur scène et enfile une robe qui illustre le corps d’une femme, on comprend la raison pour laquelle tout le monde le/la regarde. La voix off au début du spectacle nous fait suggérer non seulement ses pensées intérieures, mais aussi les pensées des autres lorsqu’ils l’observent.
Sous la forme du théâtre-récit, Thierry de Pina, dans le rôle de Marie-Pierre, démontre une fois de plus que la beauté d’un spectacle réside souvent dans la simplicité, tant en ce qui concerne le décor et les costumes que les mouvements. La plupart du temps, les mouvements se limitent à une série de postures qui servent à évoquer la féminité du personnage. « Je suis telle quelle », Marie-Pierre répète à plusieurs reprises, « un femme ». Le comique dans sa manière d’observer le monde colore le tragique de son histoire.
Son objectif principal devient alors d’accepter le regard de l’autre. Pour franchir ce pas, il faut avant tout assumer pleinement sa propre image. C’est dans cette optique que la présence d’un miroir sur scène peut être interprétée. Dans l’une des scènes, Marie-Pierre se contemple dans le miroir. Elle observe son corps propre pour créer une image de son corps réel.
C'est à travers la présence vivante de Thierry de Pina, sa voix, ses gestes précis et son jeu authentique, que se déploie toute la puissance du spectacle. On est immédiatement happé par sa force évocatrice qui nous transporte dans un monde imaginaire où on peut voir le corps réel de Marie-Pierre. Thierry de Pina éveille les émotions, suscite la réflexion et crée un lien profond entre le public et la scène.
Comme dans l’histoire d’Alexandre Cabari, Le mardi à Monoprix nous incite à demander et questionner le monde extérieur et à franchir les frontières qui peuvent exister entre deux regards opposés. « Parler aux gens, c’est ce que je cherche », pourrait également être prononcé par Marie-Pierre : « parler aux gens » pour leur faire voir l’image que « son » miroir reflète.
*l’année de création
Aida Copra
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