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« Danse » du corps dans Misericordia d’Emma Dante

Le 14 octobre
Théâtre du Rond-Point

Misericordia

Texte et mise en scène : Emma Dante
Avec : Italia Carroccio, Manuela Lo Sicco, Leonarda Saffi, Simone Zambelli
Lumières : Cristian Zucaro
Assistante de production : Daniela Gusmano
Traduction : Juliane Regler
Technicienne en tournée : Alice Colla
Coordination et diffusion : Aldo Miguel Grompone (Rome)
Production Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa, Atto Unico / Compagnia Sud Costa Occidentale, Teatro Biondo di Palermo, Carnezzeria

La mère d’Arturo, Lucia, écoutait toujours sa radio. Elle dansait pour un menuisier surnommé « Geppetto ». Elle est décédée deux heures après avoir donné naissance à Arturo, et ses amies, Anna, Nuzza et Bettina, l’ont élevé comme leur propre fils.

Arturo est venu au monde prématurément, faisant face à des difficultés dans son développement physiologique, physique et moteur. Il passe sa vie dans un modeste studio, marqué par la présence d’une multitude d’objets superflus, entourant quatre chaises où trois femmes tricotent. C’est la première image du début du spectacle.

Plus tard, Nuzza (Manuela Lo Sicco) évoquera la période qui a précédé la naissance d’Arturo. La présence régulière de son père Geppetto, qui ne le voulait pas, et les sévices infligés à sa mère Lucia se dessinent dans le texte qu’elle déclame, laissant entrevoir, dans notre imaginaire, les traces de cette violence sur la forme du corps d’Arturo. Les mouvements de Nuzza, à la fois corporels et vocaux, semblent matérialiser les mots prononcés et dépeignant, en même temps, un corps non conforme aux normes collectives, un corps qui défie les représentations communes.

Le fait de choisir de mettre en scène un corps caractérisé par difficultés motrices et d’en faire une force scénique toute particulière, reflète la notion centrale du spectacle : celle qui implique le corps comme une matière principale de la création scénique. Cet aspect transparaît dès la première scène où Nuzza et Anna (Leonarda Saffi) colportent des commérages sur Bettina (Italia Carroccio), se disputent, chouchoutent et crient. Il s’agit d’une scène où elles adoptent le grammelot : un jeu d’onomatopées dans le discours qui intègre gestes, rythmes et sonorités particulières, afin que ce discours soit pleinement accompli et compréhensible pour le spectateur. Dans la première scène aussi, le corps d’Arturo suggère les mouvements artificiellement dilatés et un déséquilibre, mais aussi les mouvements fondés sur le monde animal : ses bras deviennent les ailes d’un oiseau.

Ces gestes marquent, en quelque sorte, l’émergence d’un autre élément crucial au sein du spectacle : la danse. D’une part, les battements d’ailes et les formes évoquant les oiseaux expriment la grâce, la légèreté, voire l’aspiration à s’affranchir des contraintes terrestres. Cela caractérise de façon remarquable l’une des scènes les plus jolies, la danse d’Arturo, qui nous fait penser à la danse des derviches qui, vêtus de longues robes blanches et de fez, tournent sur eux-mêmes de manière répétitive et rythmée en cherchant d’atteindre un état spirituel profond. Cette danse est perçue comme un symbole de paix, d’harmonie et d’amour universel. L’état d'Arturo évoque avec précision ce sentiment « d’innocence » transparaissant dans son regard tourné vers le monde intérieur et extérieur. D’autre part, tout ce que son regard ne peut embrasser, Nuzza, Anna et Bettina le complètent avec leur propre danse, qui, contrairement à celle d’Arturo, évoque des éléments d’érotisme et de sensualité tout en suggérant un état de désolation et d’impuissance. La scène de danse est suivie par une séquence impliquant une variété d’objets, notamment des jouets d’enfants, extraits des poubelles. Les poubelles, en elles-mêmes, évoquent un état de dénuement.

Elles doivent laisser Arturo « s’envoler » alors qu’il attend l’arrivée d’une fanfare – c’est-à-dire, il s’agit du placement d’Arturo en institution qui lui offrira l’opportunité de bénéficier d’un accompagnement adapté à ses besoins. Cependant, dans ces deux cas, il s’agit d’une danse libératrice, d’un « lâcher-prise » des acteurs (tous remarquables dans leur rôle), qui se libèrent en donnant vie à leurs personnages, et mettent ainsi en vibration le public à travers leur expression corporelle, leur danse des corps. Emma Dante dit que « Misericordia, pour moi, est une machine d’amour. Un lieu terrible, misérable, étroit ; mais où pourtant naît l’amour. C’est pour cela que nous avons choisi ce titre, parce que ce mot en italien est composé de deux éléments : la misère et le cœur ».

Aida Copra


© Masiar Pasquali

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