Le 06 mars 2023
Théâtre Les Déchargeurs
Les Aveugles
de Maurice Maeterlinck
Adaptation, mise en scène de Clara Koskas
Avec Gabrielle Arnault en alternance avec Suzanne Ballier, Diane Rumani, Mickael Bourse en alternance avec Romain Firroloni, Grégoire Chatain, Paul de Moussac, Léo Hernandez, Pénélope Martin, Angélique Nigris, Randa Tani
Conception marionnettes de Anne Tailliez, Théo Bertolotti, Clara Koskas
Les Aveugles (1890) est la deuxième pièce de Maurice Maeterlinck, dramaturge belge qui a marqué tout le théâtre du XXᵉ siècle. Écrite en un acte, la pièce raconte l’histoire de douze personnages, douze aveugles de tous âges qui en pleine nature attendent le retour d’un prêtre qui les a guidé vers leur hospice. Comparée souvent par certains théoriciens à la pièce de Beckett, En attendant Godot, les aveugles comme les clochards affirment le tragique du temps et de la condition humaine.
La marionnette est une curiosité caractéristique du théâtre de Maeterlinck. Il était l’un des premiers dramaturges à qualifier son œuvre de « pièces pour marionnettes ». Il a très souvent spéculé sur la possibilité de remplacer complètement l’acteur par une figure de cire ; et il était, enfin, l’un des premiers à définir une théorie de l’interprétation que l’on peut appeler celle de l'acteur comme marionnette.
Maeterlinck a écrit les pièces pour marionnettes, mais Les Aveugles n’en fait pas partie. L’intérêt de monter cette pièce en marionnettes ou en forme de réalité virtuelle, comme c’est le cas dans certaines mises en scène récentes, peut être expliqué précisément par cette préoccupation de Maeterlinck de remplacer l’acteur par les figures inanimées.
Clara Koskas dans cette mise en scène choisit par contre non de remplacer les acteurs par les marionnettes, mais de les transformer en marionnettes vivantes. Pour ce faire, elle introduit les masques peints en blanc qui rendent les visages des acteurs figés et presque inexpressifs et les costumes noirs uniformes.
Dans un espace sombre remplit de la fumée et du brouillard, sept personnages immobiles, tête baissée, yeux fermés, attendent. On entend le son du soupir lent et profond pendant que les personnages commencent à se mouvoir. Lentement, ils lèvent la tête. On voit quatre femmes, trois hommes et une poupée de bébé. Au plateau, le sol est couvert d’une couche de terre et des feuilles mortes pour évoquer le lieu de l’action tel que Maeterlinck le décrit au début de la pièce : « une très ancienne forêt septentrionale, d’aspect éternel sous un ciel profondément étoilé ».
Le jeu d’acteur est avant tout caractérisé par une immobilité presque totale pour renforcer l’idée, d’une coté, de transfiguration de l’acteur en figure inanimée, et de l’autre, pour accentuer le drame de la déréliction des personnages qui doivent faire face à l’absence.
Toute la mise en scène sert à évoquer l’atmosphère du tragique du temps. Il s’agit d’abord du choix des masques peints en blanc qui représentent une condition humaine collective condamnée à attendre dans un espace « sans nom » ; les parties chorales chantées dans plusieurs langues pour souligner le sentiment d’angoisse et de peur et faire de ces aveugles des archétypes d’une civilisation hors du temps ; le bruit des pas des personnes qui n’apparaissent jamais ; et finalement la présence d’une marionnette, celle de prêtre qui apparaît vers la fin du spectacle. En ne prenant pas en compte la poupée de bébé dont la fonction est différente, la marionnette de prêtre assume une valeur cruciale pour comprendre l’état des personnages. La figure de prêtre représente un personnage déjà mort, mais la marionnette est fabriquée afin de ressembler le plus possibile aux autres personnages, aux aveugles. Cela nous fait penser à Tadeusz Kantor qui dans son spectacle exceptionnel, La Classe morte (1975), décrit une classe de personnages apparemment morts, confrontés à des mannequins qui représentent leur jeunesse. Comme dans le spectacle de Kantor, les personnages des aveugles sont coincés entre la vie et la mort : le mannequin de prêtre incarne l’image de personnages luttant contre le temps.
En choisissant une pièce comme Les Aveugles, la Compagnie Populo, dit la metteuse en scène, Clara Koskas, cherche à inviter le spectateur dans un endroit inattendu et inconnu de lui-même. « C’est le récit macabre et effrayant de l’Homme face à la Mort. La mort a toujours fasciné les cultures de toutes les époques. C’est une puissance indétrônable que nous rencontrerons tous. Elle nous ramène à notre tragique condition humaine ».
Aida Copra
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