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De l’autre côté : Edelweiss (France Fascisme) de Sylvain Creuzevault

Le 28 septembre
Odéon Théâtre de l'Europe

Edelweiss (France Fascisme)
mise en scène : Sylvain Creuzevault
artiste associé
de et avec Juliette Bialek, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille, Lucie Rouxel et Antonin Rayon (musicien) création aux Ateliers Berthier dans le cadre du Festival d'Automne 2023

Pourquoi France Fascisme ?

Le rideau noir, où les lettres émergent de manière sporadique, dévoile par moments des fragments de mots ou même des mots entiers, tels que « pop », « le », « ont », « front », « populaire ». La musique qui accompagne cette révélation fusionne des éléments sonores électro avec des réminiscences d’un vinyle éraflé ou du son caractéristique d’un téléphone fixe à l’ancienne. Les mots émergent progressivement, formant la phrase : « Plutôt Hitler que le front populaire ».

Nous sommes transportés en 1945, à l’époque d'une poursuite judiciaire impliquant Robert Brasillach, écrivain et journaliste, un rôle habilement incarné par la talentueuse Charlotte Issaly. D’emblée, la reconnaissance du personnage de Robert est évidente, matérialisée par le tableau qu’elle tient dans ses mains, portant son nom. Le dénouement de ce procès le condamne à la peine de mort. Ses derniers mots se transforment en un chant militaire traditionnel, « La Strasbourgeoise » (L’enfant de Strasbourg), qui culmine avec ces mots : « Mais mon p'tit cœur vous ne l’aurez jamais, Mais mon p'tit cœur lui restera français ! ». La conclusion de cette première scène est d’une puissance telle qu’elle nous révèle que l’écho de la guerre commence à résonner dans tout l’espace.

Nous faisons un saut dans le temps, revenant à l’année 1941, où se déroule un meeting orchestré par les fascistes français, incarnés par trois acteurs exceptionnels : Pierre-Félix Gravière, Vladislav Galard et Arthur Igual. Ils exposent le plan Barbarossa, conçu pour lutter contre le « judéo-bolchevisme », l’ennemi principal d'Hitler. Au sein de cette scène, qui s’attarde sur les discours du régime de Vichy, l’état des ouvriers français avant 1936, l’affaire Dreyfus, et même Robespierre, un petit moment d’improvisation s’insère naturellement en raison du retard de certains spectateurs, perturbant légèrement le déroulement du spectacle – nous, en tant que public, sommes les témoins de ce rassemblement.
À cet instant précis, l’un des personnages prononce, paraphrasant : « Voici ce qu’est devenue la France ». Cette réplique suscite le rire, mais le caractère comique de la scène, ou plutôt, sa dimension tragi-comique, découle non seulement de cette situation, mais également du jeu exceptionnel de ces trois acteurs. Leur performance est marquée par une spontanéité authentique, une présence naturelle, et une virtuosité innée dans leurs mouvements et leurs gestes.

Toujours en 1941, un nouveau personnage entre en scène : Lucien Rebatet, écrivain et journaliste. Dans une conversation avec sa mère, il tente de la convaincre de la notion que « Pour rester Français, il faut devenir Allemand ». Le personnage de Lucien, interprété avec brio par une actrice, Lucie Rouxel, exprime un désir ardent de s’engager dans la bataille. Il s’habille en costume inspiré du tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, Margot La Folle, où une paysanne en armure traverse intrépidement un paysage dévasté, peuplé de créatures monstrueuses. Ce détail, apparemment anodin, prend tout son sens lorsque le tableau apparaît plus tard à l’écran au milieu de la scène.
La scène se termine alors qu’un rideau transparent apparaît, accompagné de l’écho d'un chant militaire allemand de la Schutzstaffel, intitulé « SS marschiert in Feindesland » (en français : « La SS marche en territoire ennemi »). Pratiquement chaque partie du spectacle est encadrée par des intermèdes évocateurs, qui capturent l’esprit profond des personnages et renforcent l’atmosphère de la représentation.
En 1941, nous pénétrons le bureau d’un médecin, interprété par Frédéric Noaille. Ce personnage semble incarner le sentiment d’une perte face à un choix désastreux, à savoir s’engager du côté fasciste. Son personnage est caricaturale, tout comme les autres personnages de la pièce. Leurs mouvements, souvent répétitifs et marqués par une immobilité délibérée, semblent exprimer l’absurdité de leurs choix, voire le primitivisme de l’époque contemporaine, qui trouve son apogée dans la scène suivante.
Un petit orchestre joue une musique, tandis que les fascistes dansent dévêtus. Leurs mouvements évoquent les postures figées des statues, dont les images sont projetées en arrière-plan. Cependant, au lieu de donner une grandeur à leur danse, ils semblent plutôt représenter le corps comme une « faiblesse de forme », incarnant ainsi « l’Homo fascista ». Cette scène évoque de manière saisissante l’idée de la décadence morale et de l’absurdité des choix idéologiques.

Une autre scène dépeint aussi la « décadence » de la France. Le terme résonne continuellement, tandis que sur l’écran, des séquences vidéo issues de différentes époques représentent quelques-unes des questions politiques et sociales les plus cruciales. La « décadence » fait écho à travers les citations de célèbres personnalités que l’actrice Charlotte Issaly évoque, parmi lesquelles figurent Éric Zemmour, Michel Houellebecq, Marine Le Pen, Charles Maurras, Paul Verlaine, Pierre Drieu la Rochelle, Nicolas Sarkozy, Jean Cocteau, et bien d’autres.

Les années s’écoulent, nous conduisant vers le point de départ de l’histoire. Nous suivons le parcours de ces personnages à travers le continuum temporel. Pour marquer les différents lieux d’action, Sylvain Creuzevault fait usage de signes évocateurs. La scénographie qu’il déploie est à la fois impressionnante et d’une simplicité complexe. L’espace scénique se dévoile dépourvu d’objets scéniques proprement dits, les personnages se déplacent à l’intérieur d’une sorte de panneaux d’armoires en bois. Leurs mouvements semblent presque entravés, comme si l’espace lui-même étouffait sous le poids de l'inhumanité qui règne. Il convient également de noter que le musicien crée la musique utilisant une machine évoquant l’énigmatique Enigma.

Le spectacle se termine avec les images de la libération.
Le moment d’improvisation (ou peut-être pas) : « Voici ce que la France est devenue », éclaire subtilement la raison sous-jacente de l’exploration de ce sujet : la notion d’un passé télescopé par le présent. Le spectacle ne se limite pas à une simple analyse de la période historique en question, mais opère une synthèse, une reconstruction, et même une simulation du passé afin de mieux aborder le présent. Il établit une dialectique entre l’Autrefois et le Maintenant, illustrant comment le passé et le présent interagissent pour façonner notre compréhension du monde actuel.

Sylvain Creuzevault dit : À partir de la fin de l’année 2021, j’ai construit avec le groupe 47 de l’école du Théâtre national de Strasbourg un spectacle qui s’appelle L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, qui explore la résistance allemande. […] Ce travail m’a donné envie d’inverser les points de vue et de regarder la même période, mais en France, du côté nationaliste puis fasciste ».

Aida Copra


© Jean-Louis Fernandez

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