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Photo du rédacteurAida Copra

Le corps qui raconte la guerre : Guerre de Louis-Ferdinand Céline

Dernière mise à jour : 6 juil.

Le 17 octobre
Théâtre de la Porte Saint-Martin

Guerre
Texte : Louis-Ferdinand Céline (publié aux Éditions Gallimard) Adaptation : Bérangère Gallot et Benoît Lavigne Mise en scène : Benoît Lavigne Interprétation : Benjamin Voisin Collaboration Artistique et chorégraphie : Sophie Mayer Scénographie et lumières : Seymour Laval Costumes : Isabelle Deffin Musique : Raphaël Chambouvet
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Quand le théâtre est créé dans une période historique marqué par la guerre, il devient un « besoin profond », ou pour reprendre des mots de Denis Guénoun, « une nécessité » qui implique « la brutalité de l’appel ». Il devient un reflet de la réalité tandis que la vie se métamorphose en une tragédie théâtrale. Les acteurs qui interprètent en temps de guerre, peuvent également porter les marques physiques et émotionnelles de ces épreuves, reflétant ainsi les difficultés et les souffrances de leur époque. Leurs performances peuvent être teintées par la fatigue, la faim et d’autres conséquences de la pénurie alimentaire et des conditions de vie difficiles qui caractérisent les périodes de conflit.

Le théâtre dans des périodes historiques de guerre peut servir de moyen de catharsis. On peut parler d’une sorte d’évasion cathartique qui se caractérise par différents états d’esprit : un échappatoire à la réalité, une preuve que l'art peut persévérer, une forme de résistance, une manière de s'extraire des préoccupations liées à la guerre, une source de joie, un moyen d'entretenir l'espoir en une vie normale, et bien d'autres encore. Dans un espace claustrophobique, le théâtre a une forte fonction anthropologique. Il est image de la condition humaine dans des circonstances extrêmes, offrant ainsi une réflexion profonde sur les conséquences de la violence et de la tragédie sur les individus et les communautés.

Ces expériences, si ce n'est que dans leurs notions approximatives, ne sont pas les nôtres. Alors, nous nous interrogeons sur la portée et la signification d'une représentation théâtrale abordant le thème de la guerre dans le contexte actuel de la France. Quels impératifs de la scène, du jeu des acteurs, du récit, et globalement de l’acte de représentation un tel sujet impose ?

Explorer les caractéristiques distinctives du théâtre en temps de guerre peut éclaire l’intention principale du metteur en scène, Benoît Lavigne, dans son audacieuse adaptation sous forme de monologue du roman inédit de Louis-Ferdinand Céline. Sa vision va au-delà de la simple réanimation d'une période historique significative ; elle vise à dépeindre les empreintes physiques et psychologiques laissées sur ceux qui ont vécu l'atrocité de ce chapitre sombre de l'histoire. En effet, Guerre, oscillant entre récit autobiographique et œuvre d'imagination, témoigne de l'expérience personnelle de Céline pendant la Première Guerre mondiale.

L'extraordinaire interprétation de Benjamin Voisin offre une image saisissante dévoilant les atrocités de la guerre et les souffrances des soldats et des civils. À la fois narrateur et personnage, en plongeant dans sa propre mémoire, il fait revivre les moments cruciaux de son vécu. Le temps semble se dérouler de manière linéaire, mais il est perturbé précisément par cette mémoire, qui transcende le passé pour se fondre dans le présent, créant ainsi un « présent éternel ». En ce sens, son jeu démontre que les cicatrices de la guerre demeurent toujours vives, refusant de se laisser guérir. Et son corps devient vecteur de narration et d'expression de cette réalité.
Ainsi, son corps reste blessé, contracté, brisé tout au long de la pièce. Il suffit d’observer son jeu et d’écouter les mots de Céline pour voir clairement une image qui incarne l'essence même de la guerre : la mort, la destruction, la peur, la souffrance, le désespoir, le traumatisme, le chaos, la folie, les pertes et la violence… Une présence palpable de ces réalités brutales. Dans un espace presque vide, caractérisé par l’obscurité, la poussière, la terre, la lumière rouge, le personnage semble se retrouver dans un lieu claustrophobique dont il est ardu de s'échapper.

Revenons aux questions initiales et considérons le thème omniprésent de la guerre. Même si elle ne fait pas partie de notre réalité immédiate, elle pourrait se trouver à quelques pas de nous, en nous, dans le passé ou le présent, ou même dans une réalité – qu’on ne connaît pas – mais où la mort fait partie intégrante de la vie quotidienne. En tant que sujet, la guerre se doit de rester au cœur de nos préoccupations, même en (notre) période de « paix », afin de réveiller l'observateur actif en nous, celui qui voit, qui comprend, et qui peut peut-être agir.

À travers la finesse de sa mise en scène, le dynamisme du jeu d'acteur et la subtilité de sa scénographie, ce spectacle se caractérise par une dialectique complexe entre engagement politique et forme artistique. Il parvient à embrasser l'imaginaire tout en transcendant la réalité dramatique, faisant ainsi l'expérience d'une dualité à la fois interne et externe

Aida Copra


© Clément Puig

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