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Les plus beaux livres sur la Commedia dell’Arte


Il en existe certainement beaucoup d’autres, mais ceux-ci sont les ouvrages qui reposent dans ma petite bibliothèque, et auxquels je suis particulièrement attachée pour une raison ou une autre. Ce sont les livres qui ont jalonné mon voyage au cœur de cette tradition aussi ancienne que mystérieuse : la Commedia dell’Arte.


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  1. Ferdinando Taviani et Mirella Schino, Le secret de la Commedia dell’Arte. La mémoire des Compagnies Italiennes au XVIᵉ, XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècle, traduit de l’italien par Yves Liebert, « Contrastes / Bouffonneries », Paris, 1984 [La Casa Usher, Florence, 1984].

On commence par le livre sur lequel j’ai sans doute travaillé le plus. Et, d’ailleurs, lorsqu’on est chercheur, on ne sait pas toujours pourquoi un ouvrage devient notre compagnon de route plutôt qu’un autre. Est-ce le style, la manière d’écrire, la densité du contenu, la personnalité de l’auteur ? Peut-être un mélange de tout cela.
Quand j’ai commencé à m’intéresser à la Commedia dell’Arte, j’ai rapidement compris que j’entrais dans un univers immense, fascinant, souvent associé aux mots « symbole », « secret », « utopie », « objet mystérieux » ou encore « constellation ». Et cet univers devient encore plus énigmatique lorsque l’on cherche ses traces dans la pratique théâtrale contemporaine. Pour ma part, j’ai choisi de représenter cette présence par une « étoile » : car, lorsqu’on observe la lumière des étoiles, on observe en réalité le passé. La Commedia, elle aussi, scintille dans notre présent tout en nous renvoyant à une histoire lointaine.

C’est exactement cette aura secrète, presque mythique, que j’ai retrouvée dans le livre de Ferdinando Taviani et Mirella Schino. Un mot y revient sans cesse : mythe. Dans une réflexion dialectique « entre mythe et histoire », écrivent-ils, l’image de la Commedia dell’Arte est « riche et confuse », composée « d’une galerie de fragments qui semblent provenir d’un grand spectacle unique, jamais décrit et mystérieux ».

Taviani et Schino s’attachent à démêler cette image fragmentée. Ils nous offrent un récit dense, nourri de perspectives multiples : témoignages, descriptions, archives, documents historiques. Mais toujours avec la conscience que la Commedia dell’Arte nous échappe encore, qu’elle conserve aujourd’hui une part de secret, un noyau d’ombre qui en fait tout le charme — et tout le défi.


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  1. Siro Ferrone, La Commedia dell’Arte. Attrici e attori italiani in Europa (XVI-XVIII secolo), Einaudi, Turin, 2014.

Le deuxième livre est celui de Siro Ferrone, et l’on peut dire qu’il se situe presque à l’opposé de l’écriture de Taviani et Schino. Ici, même si la dimension mythique de la Commedia dell’Arte n’est jamais complètement absente, Ferrone adopte une approche beaucoup plus nette et structurée, presque cartographique.

Son ambition est de reconstituer une histoire complète des acteurs et actrices italiens entre le XVIᵉ et le XVIIIᵉ siècle. Il nous montre comment les compagnies se formaient, comment elles trouvaient leur force motrice, comment elles voyageaient, survivaient, s’adaptaient, et s’inscrivaient pleinement dans les événements sociaux, politiques et culturels de leur temps.

Ferrone nous apprend également comment ces troupes ont créé leur propre univers artistique : un répertoire mouvant, riche, inventif, qui a profondément marqué l’histoire du théâtre européen. Là où Taviani et Schino embrassent le mystère et la constellation des mythes, Ferrone cherche la ligne, la chronologie, le tissu historique.



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  1. Emanuele De Luca et Andrea Fabiano (dir.), L’Apothéose d’Arlequin. La Comédie-Italienne de Paris : un théâtre de l’expérimentation dramatique au XVIII siècle, Sorbonne Université Presses, coll. « e-Theatrum mundi », 2023.

Le troisième ouvrage s’attache à la même période que celui de Ferrone, mais se concentre plus précisément sur le XVIIIᵉ siècle. Ici, mon propos sera particulièrement personnel, car je connais les auteurs qui ont dirigé ce livre. Pour moi, il constitue l’une des contributions les plus précieuses à l’étude du voyage des comédiens italiens vers Paris.

Comprendre ce voyage, c’est aussi comprendre l’influence profonde que la Commedia dell’Arte a exercée sur la pratique théâtrale contemporaine en France. Cette influence est loin d’être marginale : pensons à Jacques Lecoq, Jacques Copeau, Ariane Mnouchkine… Leur héritage est décisif. Et pour saisir le présent, il faut toujours revenir au passé.

Lors de la présentation de ce livre — que j’ai eu l’honneur de modérer en présence d’une compagnie de comédiens dell’arte contemporains, le Stivalaccio Teatro — j’ai dit ceci : se plonger dans cet ouvrage, c’est entrer dans les coulisses, afin de dévoiler une histoire faite de contradictions, de secrets et de zones d’ombre que nous tentons encore d’éclaircir. C’est en pénétrant dans ces coulisses que l’on peut reconstruire une image de ce qu’était « cette » Commedia dell’Arte, et mieux comprendre ce qu’elle représente aujourd’hui.

Je suis profondément attachée à ce livre aussi parce que, dans le cadre de ma thèse, j’ai eu la chance d’échanger à plusieurs reprises avec l’un de ses directeurs, Emanuele De Luca. Grand historien du théâtre, il est lui-même une véritable archive vivante de la Commedia dell’Arte des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Son regard précis, rigoureux, toujours ancré dans les sources, est souvent venu compléter ce qui me manquait dans mes propres approches, parfois expérimentales, de la Commedia dans le théâtre contemporain.

Le second directeur, Andrea Fabiano, est quant à lui un spécialiste reconnu du théâtre et de l’opéra italiens des XVIIᵉ, XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles. Si aujourd’hui l’on parle autant de Goldoni en France, c’est en grande partie grâce à ses travaux, qui constituent une ressource fondamentale. Goldoni, dont les pièces continuent d’être jouées sur les scènes françaises — qu’on les aborde de manière historique ou en les réinventant — conserve une force expressive singulière dans sa capacité à représenter l’humain dans son universalité.

Fabiano nous offre un regard approfondi sur toutes les dimensions de l'œuvre de Goldoni, et nous invite à comprendre une part essentielle de son histoire : son départ d’Italie pour venir écrire en France, une expérience à la fois riche et contradictoire. Il écrit dans l’un de ses ouvrages : « Laisser derrière soi son pays, sa propre langue, les liens d’amitié et de soutien, la maîtrise réconfortante d’un contexte théâtral pour affronter le défi de s’exposer à la critique directe de la capitale du théâtre, de légitimer sur la scène vivante le refrain topique de l’“héritier de Molière”, provoque en même temps chez Goldoni l’euphorie et le trou noir de l’incertitude et de la dépression dans un schéma bipolaire bien connu à lui. »
Pour moi, Andrea Fabiano est aussi celui grâce à qui mon propre chemin dans l’étude de la Commedia dell’Arte a trouvé un véritable cadre : un horizon rigoureux, éclairé par cette lumière venue du passé, qui guide et nourrit nos recherches actuelles.

Pour consulter les ouvrages :


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  1. Christopher B. Balme, Piermario Vescovo et Daniele Vianello (dir.), Commedia dell’Arte in Context, Cambridge University Press, 2018.

Le quatrième ouvrage rassemble les grands théoriciens auxquels je reviens sans cesse dans mes réflexions sur la Commedia dell’Arte. Composé de plusieurs articles, il propose un panorama complexe et riche de ce qu’a été la Commedia dans son histoire, mais aussi de ce qu’elle représente aujourd’hui pour la pratique théâtrale contemporaine.

Ce livre réunit en un seul lieu des voix essentielles : celles sur lesquelles repose en grande partie l’image que nous avons aujourd’hui de la Commedia dell’Arte, tant dans sa dimension historique que dans ses manifestations actuelles. Quiconque souhaite comprendre ce double mouvement — revenir aux sources tout en observant la présence contemporaine de cet art — trouvera ici un socle indispensable.
L’ouvrage se conclut par une phrase qui, selon moi, en résume parfaitement l’esprit :
« Quelle que soit la direction que la Commedia prend, elle reste située dans une dialectique productive entre mythe et histoire, qui dynamise autant les praticiens que les pédagogues. »

Cette dialectique, si féconde, traverse l’ensemble du livre. Elle rappelle que la Commedia dell’Arte vit aujourd’hui encore dans cet espace mouvant entre ce que nous savons d’elle et ce que nous rêvons qu’elle soit. Et c’est précisément dans cet espace que se forme notre regard, celui des chercheurs comme celui des artistes.

Pour consulter les ouvrages :


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  1. Roberto Cuppone, Le Théâtre de Nohant. L’Invenzione della Commedia dell’Arte, vol. I, C.I.R.V.I., Moncalieri, 1997.

Le cinquième ouvrage de ma liste est celui de Roberto Cuppone. Dans l’histoire de la Commedia dell’Arte, il existe une date que de nombreux chercheurs considèrent comme un tournant : 1846, à Nohant. Cette année-là, George Sand, son fils Maurice et leurs amis, en inventant des types fantastiques par l’improvisation, font renaître — presque involontairement — l’art des comédiens italiens.

Comme « une sorte de mystère », quelque chose qu’ils « ne cherchaient pas », de ce monde de créations folles et bizarres surgit alors, sans intention programmée, la redécouverte de la Commedia dell’Arte. La tradition revient non comme un modèle, mais comme une apparition, une mémoire fantôme.

Roberto Cuppone retrace l’histoire de ce théâtre étrange afin de comprendre le passage de la tradition italienne vers la scène contemporaine. Mais il n’oublie jamais qu’il s’agit d’un monde réinventé, d’une image personnalisée de la Commedia, une interprétation singulière qui n’en demeure pas moins durable. Si l’on revient à Taviani et Schino, on pourrait dire que Nohant constitue l’un de ces fragments d’un grand spectacle perdu : un fragment décisif pour saisir ses masques, ses personnages, ses fantômes.

Ce n’est pas tout : le théâtre de Nohant, par son processus d’improvisation, semble avoir influencé de nombreuses expériences pédagogiques et théâtrales contemporaines. En ce sens, le livre de Cuppone offre une contribution essentielle : il éclaire l’un des lieux fondateurs de l’Invenzione della Commedia dell’Arte, lieu souvent oublié, mais riche de traces et de gestes encore actifs aujourd’hui.

Enfin, il faut mentionner un détail biographique qui donne un relief particulier à ce travail. Le choix de Cuppone d’analyser la Commedia dell’Arte est né d’un masque, celui de Mezzetin, qu’il porta lorsqu’il faisait partie de la compagnie italienne vénitienne Tag Teatro. Ce masque, porté comme expérience de scène, devient alors origine d’un regard : la recherche naît ici de l’incarnation. Et c’est peut-être ce qui fait de ce livre une enquête sensible autant qu’historique.


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  1. Robin Summa, d’après Pierangelo Summa, Bref ! la commedia dell'arte. Masques et carnavals, précis d'une insurrection théâtrale, Librairie théâtrale, Paris, 2025.

Le dernier livre de ma liste est aussi le plus récent venu enrichir ma bibliothèque. Publié cette année, il témoigne de l’un des phénomènes les plus importants — et les plus touchants — de la Commedia dell’Arte : celui de l’héritage.

Il s’agit du livre de Robin Summa, construit à partir des archives écrites de son père, Pierangelo Summa, maître artisan du masque et figure essentielle du renouveau contemporain de la Commedia. J’ai rencontré Robin pour la première fois au Festival d’Avignon, lors d’une conférence passionnante qu’il donnait sur le masque. La deuxième fois, je l’ai retrouvé au Cours Florent, où il animait un atelier avec les étudiants — un moment rare, où l’on comprenait à quel point son savoir est incarné, transmis, presque familial.

Le livre est organisé en une série de courts chapitres, chacun consacré à l’un des masques traditionnels. Ces chapitres en explorent l’histoire, les codes du jeu, l’apparence, la fabrication et les réinventions contemporaines, le tout accompagné de magnifiques photographies, autant issues d’archives historiques que de collections personnelles. C’est bien l’histoire de la Commedia dell’Arte, certes, mais c’est aussi — et peut-être surtout — l’histoire d’une famille, d’un héritage qui passe du père au fils, et qui continue de se réinventer.

Robin Summa poursuit l’artisanat de son père en fabriquant des masques, mais il transmet également quelque chose de plus subtil : un regard, une manière de penser la Commedia, un imaginaire habité par des traces, des marques, et — comme il le dit lui-même — par des fantômes. Car la Commedia dell’Arte est peuplée de présences, de voix, de gestes qui persistent.

Quant au titre, Bref ! la Commedia dell'Arte, il est évidemment provocateur. On sait bien que l’histoire de la Commedia n’est jamais « brève », et que parler d’elle semble toujours vouloir se prolonger à l’infini — grâce à tous ceux qui, comme les Summa, lui ont consacré un mot, un masque, une phrase, un livre.

Pour consulter les ouvrages :



Et je terminerai par l’une de mes citations :

La Commedia dell’Arte est une étoile : sa lumière venue du passé traverse le présent, s’imprime dans le corps du comédien et le transforme en mémoire vivante.

Aida Copra


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