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Médée de Lisaboa Houbrechts

Dernière mise à jour : 27 mai 2023

Le 23 mai
Comédie Française
Médée
d'après Euripide
Traduction Florence Dupont
Adaptation et mise en scène Lisaboa Houbrechts

Lisaboa Houbrechts est une metteuse en scène, autrice et artiste belge. Née en 1987 à Anvers, en Belgique, elle est connue pour son travail novateur et audacieux dans le domaine du théâtre. Ses spectacles se caractérisent souvent par des mises en scène non conventionnelles et des réinterprétations de textes classiques. Pour elle, Médée est « une histoire d’amour » qui est racontée à travers une esthétique visuelle et une approche scénique innovante.

Le rideau noir arbore un dessin représentant une esquisse de visage avec un doigt sur les lèvres…
Le spectacle s’ouvre avec le prologue de la Nourrice, où elle parle du poids du regret face à la séquence inévitable d'événements qui ont conduit Jason à abandonner Médée pour Créüse, la fille du roi de Corinthe. Dans ce monologue, elle prépare les spectateurs à l’éventuelle issue désastreuse de l’histoire, avant d’assumer ensuite le rôle du narrateur.
Cette première scène annonce d’emblée la tragédie, tant par les paroles de la Nourrice que par ses mouvements lourds et lents, dans une atmosphère d’obscurité qui règne sur le plateau. De plus, dans cette adaptation de Médée, la Nourrice est interprétée par Bakary Sangaré, un acteur d'origine africaine. C’est le premier signe qui démontre une approche singulière à cette tragédie immortelle.

Pendant son discours, la Nourrice affronte un autre personnage, Aphrodite, qui apparaît sur le balcon du théâtre parmi le public. Elle observe la Nourrice qui lui reproche d’avoir lancé la flèche fatale. On comprendra bientôt, par un signe très visible sur le costume de Médée, que sa vision de la vie est mesurée par le battement de son cœur.
À la fin du prologue, on entend les cris de Médée dans les coulisses. C’est à ce moment-là que le rideau se lève et on aperçoit un drapeau bleu au milieu de la scène, une sorte de baldaquin qui s’ouvre lentement au-dessus d’un lit imaginaire. C’est un vrai moment de suspense car on est impatient de voir la figure qui est gravée dans l'imaginaire collectif en tant que mère qui devient l'assassin de ses propres enfants.

Une fois la scène vide, on voit une image impressionnante de Séphore Pondi dans le rôle de Médée. Elle est habillée en noir, mais un détail de son costume capte immédiatement notre attention : un cœur rouge qui brille sur sa poitrine. Son langage est fragmenté et elle se meut au rythme des battements de son cœur. Les cris terrifiants de Médée suscitent à la fois la pitié et l’effroi parmi les habitants de Corinthe et de Colchide qui apparaissent sur scène en costumes blancs. La scène change et les drapeaux rouges que les Corinthiens et les Colchidiens soulèvent dans l’air suggèrent la souffrance de Médée et son saignement émotionnel.

Les drapeaux disparaissent, mais la couleur rouge persiste sur les chaussures de Créon (Didier Sandre) qui entre sur scène. Il se met à marcher autour de Médée dans une trajectoire circulaire pendant qu’elle le supplie de ne pas l’exiler. Il lui accorde un jour. Une fois le roi parti, on entend le chant du chœur des habitants qui déclenche une danse sensuelle de Médée, évoquant un état de fatigue, de chagrin et de désespoir.
La scène change et les penderies suspendues au plafond avec les vêtements d’enfants (c’est le premier indice du choix de la metteuse en scène de ne pas représenter directement les enfants ) envahissent le plateau. Le moment crucial arrive quand Aphrodite apparaît et se met à danser avec Médée. C’est une danse de mouvements saccadés qui suscite la rage de Médée envers Aphrodite : elle veut la tuer, mais elle finit par l’embrasser. La scène résume ainsi les sentiments contradictoires de Médée qui coexistent envers Jason, sa condition et envers elle-même. À la fin, Médée arrache son propre cœur…

C’était fascinant d’observer comment les lumières (Fabiana Piccioli) – d’une manière presque brusque, mais en même temps subtile et inaperçue – contribuent à changer l’aspect de la scène. Dépourvu d’objets scéniques, le décor se transforme continuellement grâce aux rideaux, aux fonds de scène et aux suspentes. Le seul objet apparaît à la fin du spectacle : il s’agit du char sur lequel Médée s’envole lorsque Jason vient réclamer vengeance. Il faut préciser à ce point que les personnages de Jason et du roi d’Athènes, Égée, sont interprétés par deux actrices : Suliane Brahim et Anne Cervinka. Lisaboa Houbrechts justifie ce choix par son intention de voir « comment les acteurs vont mettre en mouvement ce que les siècles ont figé dans la pierre, comment ils vont faire surgir l’étrange de ce que nous croyions connaître ».
Les enfants n’apparaissent jamais sous forme humaine. Leur image est transfigurée en ballons noirs qui explosent dans les mains de Médée. Le spectacle se termine au moment où Jason affronte Médée. Elle se trouve sur le char qui est en effet une statue décomposée : une tête coupée en deux qui se relie sur scène. Il pourrait symboliser en quelque sorte le personnage de Médée : la jonction entre deux entités distinctes qui sont en conflit et le besoin de les rassembler. Mais une fois réunis, ils se transforment en poussière qui tombe sur Jason… et cette scène coupe le souffle.

Aida Copra


© Vincent Pontet

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