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Notre vie dans l’art : le Théâtre du Soleil et Stanislavski

Le 09 décembre 2023
Théâtre du Soleil
Dans le cadre du Festival d’Automne 2023

NOTRE VIE DANS L’ART
Conversations entre acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago, Illinois en 1923
Écriture et mise en scène : Richard NelsonTraduction : Ariane Mnouchkine
Avec les comédiens du Théâtre du Soleil : Shaghayegh Beheshti, Duccio Bellugi-Vannuccini, Georges Bigot, Hélène Cinque, Maurice Durozier, Clémence Fougea, Judit Jancso, Agustin Letelier, Nirupama Nityanandan, Tomaz Nogueira, Arman Saribekyan
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On sait qu'Ariane Mnouchkine aimait toujours les conversations qui venaient de loin, du passé, d'un autre temps. Cela peut être une conversation avec une tradition, une forme théâtrale, un pays, une culture... Il peut s'agir d'une conversation avec un auteur, un metteur en scène, un maître, ou bien une conversation imaginée entre certains de ses maîtres. Ainsi, par exemple, le texte-programme de l'un des spectacles les plus importants du Théâtre du Soleil, l'Âge d'or (1975), contient beaucoup de citations tirées du Registre I de Copeau, ainsi que des Écrits de Meyerhold, souvent envisagées comme une « conversation-rencontre imaginaire entre deux anciens maîtres ».

Ce spectacle peut être vu comme une conversation entre la troupe du Théâtre du Soleil et Stanislavski à travers l’écriture de Richard Nelson. Les motivations de Richard Nelson de créer une pièce qui parle des acteurs du Théâtre d’Art de Moscou pendant leur tournée à Chicago en 1923 sont ancrées dans l'importance que revêt cette tournée, selon ses explications, dans l'histoire du théâtre aux États-Unis. À cette époque, le Théâtre d'Art de Moscou, sous la direction de Stanislavski, est confronté à des défis en raison de la perception de son répertoire comme bourgeois en Union soviétique. Parallèlement, leur tournée aux États-Unis suscite la méfiance de certains envers les acteurs étrangers, bien que la communauté russe exilée leur réserve un accueil chaleureux. Stanislavski envisage même de s'installer aux États-Unis, où il reçoit une commande pour écrire Ma vie dans l’art.

Sur la scène, disposée en bi-frontale, les premiers instants du spectacle, illustrant la préparation de la table, révèlent d'emblée une virtuosité dans les déplacements des acteurs et des objets qu'ils manipulent. Tout semble composer une symphonie orchestrée magistralement, où le bruit des chaises, des couverts, des assiettes remplace les notes de musique. Dès que chacun est installé, la conversation s’anime.

Le spectacle est sous-titré « une conversation », et Richard Nelson demeure fidèle à cette idée tout au long de la pièce, soulignant ainsi que la force d'une conversation simple, mais jamais banale, peut véhiculer tout le sens d'une représentation. Ici, point d'intrigue, point de drame, seulement une variété de discours et de discussions incarnés dans la vie artistique quotidienne. La troupe du Théâtre du Soleil est familière avec cette approche, non seulement pour créer, mais aussi pour vivre l’art.

En 1964, après un séjour d'un an en Asie, Ariane Mnouchkine fonde la troupe du Théâtre du Soleil, conçue comme une coopérative où acteurs, décorateurs, costumières, metteurs en scène, auteurs-adaptateurs, travaillent toujours en groupe pour intégrer la création à chaque moment de la vie de la troupe. D’ailleurs, au cours de sa première année, la préparation des spectacles est basée sur les exercices de Stanislavski. Il est important de souligner cet aspect du Théâtre du Soleil car c'est peut-être grâce à cela que ce que l'on voit sur scène est un naturalisme du jeu le plus parfait possible. Tout semble si naturel qu'on a l'impression d'observer la réalité au moment où elle se déroule dans l'espace et dans le temps.

La plus grande force de ce spectacle réside dans la manière dont les esprits du passé s'animent sous nos yeux : « des millions de gestes qui se caractérisent dans un individu » – il nous semble qu'un des personnages avait prononcé ces mots. Et ce sont précisément ces millions de gestes qui se réveillent pour nous livrer un discours simple, un moment du passé, mais qui peut révéler, comme le souligne Richard Nelson, « ce sentiment de précarité vécu par les personnages de la pièce », et qui correspond, selon lui « à la situation actuelle de nombreuses troupes de théâtre en Russie aujourd’hui, même avant l’invasion de l’Ukraine ».

Nous avons voyagé dans le temps tout en demeurant confrontés aux questions perpétuelles qui hantent certains milieux de la vie et du théâtre. Le spectacle a été profondément enrichissant, particulièrement pour ceux qui sont familiers avec l'histoire de Stanislavski, de sa troupe, du Théâtre du Soleil, ainsi que de la vie et de l'art durant ces années cruciales de l’époque contemporaine. Cette immersion dans le passé est une expérience vivante précieuse pour tous ceux qui ont imaginé une conversation avec le grand maître du théâtre russe. Le temps parvient, selon Stanislavski, à « une synthèse de souvenirs plus intense, plus profonde, plus vaste. Ce qui reste est donc plus pur, plus condensé, plus consistant et plus exact que l’événement lui-même ».

Aida Copra   


© Vahid Amanpour

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